Comme le titre le laisse deviner, cet essai de Michel Desmurget est une attaque en règle contre la télévision.
Le livre annonce la couleur dès la préface avec une citation de Louis-Ferdinand Céline (un auteur que je n’ai jamais lu mais dont la citation me suggère que je devrais assez bien aimer les écrits) :
- Citation :
- La télé est dangereuse pour les hommes. L’alcoolisme, le bavardage et la politique en font déjà des abrutis. Etait-il nécessaire d’ajouter encore quelque chose ? Le mal est fait... Personne ne pourra empêcher maintenant la marche en avant de cette infernale machine. Adieu travail ! Demain, on pensera sans effort, puis on ne pensera plus et on crèvera enfin de la plus triste vie.
Mme Nothomb partage-t-elle l’opinion de Céline sur la question ?
Au demeurant, Céline aurait pu ajouter la drogue à "l’alcoolisme, le bavardage et la politique", surtout quand on sait que la jeunesse française s’avère être la première consommatrice d’Europe de cannabis – on a les records que l’on peut…
Chaque chapitre du livre est aussi préfacé par des citations d’écrivains, de médecins, de professeurs et de journalistes, donnant ainsi encore plus de poids et de cautions aux propos qui suivent, même si on peut malgré tout s’interroger sur la pertinence de certaines d’entre elles, notamment une de Françoise Sagan en préface principale du chapitre IV pour qui la télévision est une calamité au même titre que la remontée du nazisme – rien que ça.
Desmurget fait aussi appel page 86 à George Orwell et Aldous Huxley en citant des extraits de
1984 et de
Retour au meilleur des mondes. Décidément, l’influence de ces deux auteurs anglais est impressionnante.
Par contre, Desmurget ne fait aucune allusion à
Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (autre classique incontournable de science-fiction) dont la critique appuyée de la télévision est pourtant toujours d’actualité et en conformité avec les thèses de Desmurget – même si l’auteur de
Fahrenheit 451 ne voyait apparemment guère d’inconvénients à travailler pour la télévision et à y paraître, notamment dans les 58 épisodes d’une série tv portant son nom…
A partir d’études et de données essentiellement statistiques, Desmurget analyse et détaille les effets de la télévision sur les enfants, les adolescents, et dans une moindre mesure les adultes.
Concrètement, il apparaît que la télévision agit de façon négative sur la lecture, le langage, le goût de l’effort, la capacité de concentration, le développement cognitif, l’imagination, les devoirs à la maison, les résultats scolaires et la qualité du sommeil.
De la même façon, la télévision favorise l’échec scolaire, les envies d’achats, les déséquilibres alimentaires et la propension à grossir, le tabagisme, l’alcoolisme, l’immoralité sexuelle (même si l’auteur n’utilise pas cette expression et se défend "de tout jugement moral" dans son introduction page 26), la mauvaise image de son corps (surtout chez les femmes), l’isolement social, le déclin cognitif des seniors, la maladie d’Alzheimer, l’acculturation, les comportements agressifs, les sentiments de peur et d’insécurité, la désensibilisation à la souffrance d’autrui…
Desmurget ne manque pas d’humour pour aborder tous ces thèmes.
Sa plume est même parfois acérée surtout lorsqu’il commente les assertions pro-audiovisuelles sans fondement et en totale contradiction avec la réalité statistique – le mensonge, la mauvaise foi et l’ignorance ne laissant pas l’auteur indifférent.
Si "un livre est un fusil" (j’adore cette expression… tirée de
Fahrenheit 451), ce ne sera néanmoins jamais une bombe atomique.
Ce n’est donc malheureusement pas un livre qui risque d’ébranler le colosse audiovisuel, le dieu Télévision présent dans presque chaque foyer de la planète, même en Afrique (cf. page 39), mais pas chez moi.
Desmurget lui-même semble convenir implicitement que le combat est pour ainsi dire perdu d’avance si j’en juge par sa citation de
Cyrano de Bergerac en préface de sa conclusion :
- Citation :
- -Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Etant moi-même convaincu d’avance par l’essai de Desmurget, si j’ai pris la peine de l’acheter et de le lire, c’est avant tout à cause de mes nièces de 1 et 4,5 ans.
En effet, j’ai trop mal au cœur de voir ces deux petites filles si intelligentes gâcher leur temps et leur enfance devant la télévision avec les encouragements de leurs parents et surtout du beauf qui m’a expliqué le plus sérieusement du monde que la télévision possédait des vertus éducatives, sociales et même morales, constituant par là-même un "relais" à l’éducation parentale. "La morale, c’est dans la Bible et le Coran que tu la trouveras !" lui avais-je alors répondu.
Mon objectif en lisant l’essai de Desmurget était donc de trouver des informations et des arguments choc susceptibles d’abattre non pas mon beauf mais ses certitudes de débile profond.
Mon beauf est ainsi persuadé que la télévision a joué un rôle positif dans son parcours scolaire et sa culture générale. Même si il est un cancre en mathématiques et que, de son propre aveu, il n’aime pas lire, il a néanmoins fait quelques études et obtenu un deug de langue. Il aime les mots, il adore jouer au Scrabble, et il a une assez bonne expression écrite et orale.
A vrai dire, le cas de mon beauf m’a toujours déconcerté jusqu’à ce que je lise l’essai de Desmurget qui m’a permit de comprendre l’énigme du beauf (si j’ose dire).
En effet, selon plusieurs études américaines, la télévision peut avoir dans une certaine mesure des effets positifs sur les enfants de familles culturellement et socialement défavorisées car le niveau culturel de la télévision s’avère alors supérieur au niveau culturel de ce type de familles.
Ces études montraient que les enfants de plus de 12 ans issus de milieux intellectuellement pauvres obtenaient statistiquement de meilleurs résultats scolaires lorsqu’ils regardaient beaucoup la télévision (avec toutefois une limite de 4h/jour) que lorsqu’ils ne la regardaient pas ou très peu.
Sans le savoir encore, mon beauf semble rentrer dans cette catégorie. Sa famille vivait d’ailleurs sans télévision jusqu’à ce qu’il ait 9 ans – ce qui l’a probablement sauvé de l’échec scolaire.
Il ne me reste plus qu’à attendre l’occasion favorable pour expliquer à mon beauf que des études américaines lui donnent entièrement raison concernant son cas personnel…
Mon esprit critique ("attribut cardinal" si cher à l’auteur) n’ayant pas été complètement lobotomisé par la télévision, je me permettrai de faire quelques remarques :
1) A la même page 86 où il est question de George Orwell et Aldous Huxley, Desmurget semble accorder son crédit à deux spécialistes, dont un "fin connaisseur"(sic), affirmant que la propagande nazie se caractérisait par un lexique pauvre et une syntaxe élémentaire qui firent que "le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre" - Ce professeur juif de Dresde que Desmurget cite ferait-il une subtile allusion eucharistique ?
Il est presque dommage que le "grand nombre" n’avait pas la télévision sous Hitler et Goebbels : cela aurait sacrément apporté de l’eau au moulin de Desmurget…
Au final, la méthode de propagande nazie présenterait donc des analogies (paupérisation intellectuelle et bourrage de crâne) avec la propagande décrite dans
1984 et avec la télévision, cette "gigantesque machine à abrutir" (comme dit Desmurget page 74). Dans les trois cas, le résultat serait le même, à savoir l’obtention d’un "peuple de veaux asservis, un troupeau de crétins amorphes, perméables à toutes les manipulations et incapables d’émettre la moindre pensée critique" selon les termes mêmes de Desmurget toujours à la page 86.
Indépendamment de son caractère insultant pour les Allemands, la thèse de Desmurget entraîne de légitimes interrogations sur ce peuple germain incapable de résister à une propagande nazie apparemment très simpliste selon les spécialistes cités – sans oublier que la télévision fut complètement étrangère à cette propagande.
Les Allemands étaient-ils moins instruits que par exemple les Français qui firent triompher le Front Populaire en 1936 ? Maîtrisaient-ils moins les savoirs académiques que leurs contemporains de France ? La culture allemande était-elle moins accessible ou moins riche que la culture française ? Les Lumières allemandes étaient-elles moins lumineuses que leurs homologues françaises ? Avons-nous des chiffres fiables sur la scolarisation et sur les réussites aux examens en Allemagne et en France dans les années 20, 30 et 40 ?
Desmurget ne répond malheureusement pas à ces interrogations que pourtant lui-même induit. Son absence de rigueur d’analyse et sa superficialité sur un tel sujet sont indignes d’un chercheur et universitaire. Sans compter qu’il faut vraiment être naïf pour croire à l’objectivité d’un homme envers l’assassin de son fils ou d’un juif envers les assassins de son peuple…
2) La seconde référence au nazisme de
TV Lobotomie est donc cette citation de Françoise Sagan en préface principale du chapitre IV "La télé cultive la peur et la violence" :
- Citation :
- S’il y a une calamité dont il faut se méfier aujourd’hui, à part la remontée du nazisme, c’est la télévision.
C’est quoi au juste "la remontée du nazisme" ? Sarkozy ? Marine Le Pen ? Les groupuscules d’extrême-droite ? Hitler ressuscité ?
Une telle citation, sortie de tout contexte, me semble pour le moins osée, d’autant plus que Desmurget ne revient pas dessus de tout le chapitre - la précédente et première référence au nazisme page 86 se situant au chapitre II "La télé étouffe l’intelligence".
Mettre la télévision au même niveau que "la remontée du nazisme" a de quoi laisser perplexe. Et il n’est pas sûr que cet amalgame contribue à faire prendre au sérieux les dangers de la télévision tant il est énorme. Le nazisme, ce n’est quand même pas rien dans l’inconscient collectif français.
En tout cas, ce n’est pas ce genre de citation pour le moins pas bien nette (probablement à l’image de son auteure…) qui va m’inciter à lire les œuvres de Françoise Sagan.
3) En définitive et en simplifiant, la télévision posséderait une puissance mimétique telle que tout comportement vu régulièrement à la télévision est susceptible d’être reproduit par le téléspectateur.
Concrètement, à force par exemple de voir des gens fumer ou boire de l’alcool à l’écran, le téléspectateur (surtout lorsqu’il est jeune) finit par trouver ces pratiques courantes et normales puis par faire la même chose.
Un autre exemple frappant (chapitre IV page 227) montre que voir des films d’horreur comportant des scènes de violences sadiques dirigées contre les femmes arrive à convaincre les spectateurs qu’en fin de compte "les victimes de viols sont des salopes qui ont bien cherché ce qui leur arrive et que de toute façon, tout cela n’est vraiment pas si grave" selon les termes volontairement crus et provocateurs de Desmurget.
Toujours selon Desmurget, cette capacité d’incitation inhérente à la télévision est valable dans tous les domaines qu’il répertorie donc dans son essai : tabac, alcool, sexualité, violence, etc…
Très curieusement, peut-être tout simplement parce que personne n’a osé en faire l’étude, cette capacité d’incitation ne semble pas concerner l’homosexualité que Desmurget évoque succinctement page 20 pour expliquer sa stupéfaction d’entendre trois de ses élèves en licence de psychologie affirmer que l’homosexualité était un trait génétique parce qu’une émission de télévision l’avait soi-disant dit.
Pour ma part, je ne pense guère me tromper en affirmant que la présence homosexuelle à l’écran est, d’une part très supérieure à la réalité quotidienne, et d’autre part toujours présentée comme étant une normalité absolue. On ne peut objectivement nier que la télévision offre à l’homosexualité une tribune de premier plan.
Etant donné que la télévision arrive à modifier et convaincre subrepticement la conscience de chacun, les adolescents les plus déconstruits par la télévision ne peuvent donc qu’être encouragés à se croire ou à devenir homosexuels.
Desmurget ne le dit pas explicitement, mais si je suis son raisonnement, alors on peut supposer que la télévision incite autant à l’homosexualité qu’à fumer ou boire de l’alcool.
4) Je chipote peut-être mais à la page 132 de son livre, Desmurget écrit que "le petit écran relève principalement du premier groupe reproductif".
Ce "premier groupe reproductif" en question est l’imagination reproductrice dont la définition est : "processus de pensée consistant en une évocation d’images mnémoniques".
Selon toute apparence, cette définition (issue du
Vocabulaire de la psychologie de Henri Piéron) fait référence à l’imagination reproductrice
humaine.
J’ai donc du mal à comprendre en quoi la télévision rentre dans le cadre de cette définition et de cette catégorie d’imagination reproduisant des images mnémoniques… La télévision aurait-elle une mémoire ?
5) Même si Desmurget se défend "de tout jugement moral" dans son introduction page 26, son livre milite malgré tout pour une société plus saine en opposition avec ceux qui font la télévision : directeurs de chaînes, producteurs, animateurs, journalistes, publicitaires, cinéastes, etc…
Etant donné le moralisme sous-jacent de
TV Lobotomie, les confessions religieuses (ou l’athéisme) de ceux qui sont à la source de la télévision mériteraient à être connues et analysées.
Il est vrai que si une telle analyse identifiait une sorte de té-Lévy-Sion (le calembour n’est pas de moi, je l’ai trouvé sur le web), l’auteur risquait alors de s’aventurer sur un terrain encore plus dangereusement glissant et tabou que celui du nazisme ou de l’homosexualité.
Comme quoi, on a beau être chercheur (page 13 : "Je suis chercheur"), il est certains sujets qu’il est plus prudent et plus sage de ne pas trop chercher à étudier…
Ces quelques petites critiques ne m’empêchent pas d’avoir globalement apprécié cet essai qui se lit très facilement.
En tout cas, « TV Lobotomie » mérite d’être connu, lu ou offert, pour aider à la prise de conscience étendue des effets néfastes engendrés par la télévision.