RENCONTRE AVEC AMÉLIE NOTHOMB
«Écrire est un immense plaisir»
Manon Guilbert
Le Journal de Montréal
11-12-2006 | 06h04
Dernière modification : 12-12-2006 | 11h06
Pour Amélie Nothomb, la journée a depuis longtemps pris ses aises. À l'heure du déjeuner, après avoir écrit pendant quatre heures, de 4h à 8h, au stylo, dans ses calepins, «les mêmes que les vôtres», me dit-elle, elle poursuit le travail, le regard affûté et suivant le rythme d'un emploi du temps réglé au quart de tour.
Le reflet de sa silhouette noire dans les vitrines de La Coupole précède son arrivée au célèbre restaurant du boulevard Montparnasse. Amélie Nothomb, qui se défend d'être une «Madonna», n'en demeure pas moins un visage connu de la littérature qui, on le sait tous, affectionne l'anonymat. Pendant qu'on la photographie, un admirateur, à deux pas d'elle, patiente jusqu'à ce qu'elle prenne deux minutes pour écrire quelques mots sur un bout de papier.
Amélie Nothomb aime ses lecteurs. Elle les soigne aux petits oignons et elle répond religieusement à son courrier.
«Vous êtes ma première entrevue avec la presse québécoise, dit-elle en s'assoyant à la table de la terrasse. J'en suis heureuse. Les Québécois sont importants pour moi. Dans cette invitation vers l'infini qu'est la littérature, ils me disent aussi que je les rejoins. Parfois, ça me dépasse complètement.»
Depuis 14 ans, Amélie Nothomb, accusant maintenant la trentaine épanouie, écrit par nécessité. Elle s'y astreint chaque jour parce que, comme manger, il le faut bien.
«Pour moi, avoue-t-elle, c'est la chose la plus étonnante qui soit. Ça me dépasse complètement. Au-delà de tout, c'est la durée qui m'impressionne. À chaque nouvelle publication, ça se compare peut-être à l'amour, je ne sais pas qui ça attirera. C'est une angoisse. Jusqu'ici, ça a été plutôt miraculeux, se réjouit-elle. J'appréhende plutôt et très régulièrement la fin des haricots.»
La langue
Amélie Nothomb a bourlingué autour du monde. Fille d'un père ambassadeur, elle a vécu une longue période de sa vie au Japon, là où elle dit avoir appris sa langue maternelle.
Paradoxalement, les déracinements vécus au fil des décennies, le fait de se nourrir à la culture de tous les pays sans y être ancrée lui ont fourni un profond attachement à la langue et à la littérature françaises. «C'est là mon véritable pays», affirme-t-elle en redressant la poitrine.
Elle fait pourtant la navette entre Bruxelles et Paris, deux points d'ancrage importants, l'un parce qu'elle y est originaire et l'autre parce qu'elle y travaille. «J'ai un pied dans la paix et un pied dans la guerre. Entre les deux, c'est une distance ridicule qui ferait rire tous les Québécois», fait-elle remarquer gentiment.
Amélie Nothomb écrit comme elle respire. Journal d'Hirondelle, son plus récent roman, est son 60e manuscrit. De tous ceux qu'elle a écrits en 14 ans, elle n'en a publié que le quart. Guidée par son instinct, obéissant au seul et unique critère qui est le désir de partage, elle s'abandonne à l'idée que son histoire peut aller rejoindre d'autres sensibilités.
«Je ne crois pas que je parle ici d'une science exacte, dit-elle. Je n'y pense jamais quand je suis dans le moment extrême de la création. Je ne crois pas que dans l'amour on se pose la question: Sommes-nous en train de procréer? Écrire est d'abord pour moi un réel et un immense plaisir. Je ne m'accorde pas de repos. Je le ferai au moment de ma mort.»
Agrégée de philologie
Passionnée par la langue, Amélie Nothomb se dit heureuse d'avoir eu à se plonger dans la complexité des langues anciennes du grec et du latin. Elle y a, admet-elle, tiré son goût pour la syntaxe. Sans vouloir avoir l'air d'un «vieux croûton», elle sait aussi ce qui manquera aux jeunes générations, à qui on n'enseigne plus ces langues anciennes. «Moi, en tout cas, dit-elle, je sais très bien ce que je leur dois.»
Dans son regard passe soudain une cavalcade. Amélie Nothomb jette un oeil à sa montre-bracelet, renoue son écharpe sous le menton et s'apprête à quitter la salle où, pourtant, elle avait l'air de s'être installée pour une ou deux éternités. À l'angle de la rue, elle disparaît dans les escaliers du métro Vavin. Avant de s'y engouffrer, elle a dû saluer une bonne dizaine de lecteurs...
Journal d'hirondelle, Amélie Nothomb, Albin Michel.
_________________________________________________________
Une mère prolifique
La vie d'un écrivain, c'est aussi l'amour, la vaisselle et les courses. Amélie Nothomb se qualifie comme une mère de famille nombreuse.
«J'étais enceinte de cette histoire, précise-t-elle en parlant de Journal d'Hirondelle. Le tueur en série de ce roman vivait en moi. De la même façon, quand j'ai écrit Métaphysique des tubes, je ne savais pas du tout ce qui allait sortir et à qui, à quoi ça allait ressembler. Chaque déclic avant la conception est bizarre ou tout à fait insignifiant», dit-elle tout en fixant un point invisible au fond de la salle.
Les bébés de Nothomb ne sont pas tous destinés à la lumière. Plusieurs d'entre eux, trois sur quatre chaque année, ne réussissent pas à trouver la voie.
«J'aime pourtant tout ce que j'écris, dit-elle avec franchise. Il y a entre tous ces écrits des enfants destinés à la vie publique et d'autres sont là pour rester dans le noir. On n'est jamais trop prudent!»
Amélie Nothomb a même pris des mesures testamentaires pour qu'il en soit toujours ainsi.
«Soixante-quinze ans après ma mort, je serai sans doute oubliée pour toujours. Mais je ne peux exclure les deux ou trois cinglés qui voudront peut-être publier ce qui ne l'a jamais été. Je veux que tout ça reste inaccessible.»
Comme de petits anormaux, des bébés chéris et aimés malgré tout, Amélie Nothomb choisit de garder certains de ses écrits cachés et craint qu'on veuille les livrer au grand jour lorsqu'elle ne pourra plus les protéger. Elle le fait jalousement.
La littérature du quotidien, à la portée de tous comme moyen de comprendre le monde, fascine Amélie Nothomb.
«La littérature, dit-elle avec conviction, est un acte civilisateur. Elle est à la portée de tous et aide à la compréhension des choses. Il ne faut, par contre, s'illusionner.»
Amélie Nothomb, parce qu'on le lui a dit déjà à quelques reprises, a été le petit déclencheur et a amené vers la littérature beaucoup de nouveaux lecteurs. En quelque sorte, elle a atteint un objectif. Et il arrive même qu'un de ses enfants passe au cinéma. À ce moment, comme dans le cas de Stupeur et Tremblements, filmé par Alain Corneau, elle fait la fête. Ses enfants, avoue-t-elle, ont de multiples prétendants plein de talents. «Je suis pourtant une belle-mère exigeante. Le Sabotage amoureux et Mercure viennent de se fiancer.
«Ça ne me regarde plus à ce moment-là, dit-elle. C'est à eux maintenant de faire ensemble un bel enfant. Je suis une belle-mère exigeante, mais pas harcelante. L'écriture, par ailleurs, me demande une énergie colossale. C'est exaltant. Grâce à elle, j'aime la vie!»
http://www.canoe.com/divertissement/livres/entrevues/2006/12/11/2736228-jdm.html
Accueil 
Dernières images 
