Car j'ai trouvé que le debut de l'article ...
Les silences d'Amélie
par Daniel Garcia
"Tous les ans, avec la régularité d'un métronome et invariablement fin août, Amélie Nothomb sort un roman, lequel est immédiatement classé parmi les best-sellers de la rentrée littéraire. Mais au-delà du phénomène Nothomb, qui est Amélie?
«Quand on reçoit le dernier Nothomb, on est prévenu: c'est la fin des vacances!» ironisait, le 9 septembre 2001 au micro du Masque et la Plume, Jean-Louis Ezine, le critique littéraire du Nouvel Observateur. Cette année-là, Amélie Nothomb publiait Cosmétique de l'ennemi, son dixième roman depuis Hygiène de l'assassin, en 1992 - tous parus fin août. Ce diable d'Ezine comparait le phénomène à la Cometa horribilis des Anciens, qui revenait à date fixe semer l'effroi et la fascination. Cinq ans plus tard, rien n'a changé. Chaque nouvelle rentrée littéraire voit débouler en librairie son nouveau Nothomb - baptisé Journal d'Hirondelle pour le cru 2006. Et la fascination, devenue mondiale (Amélie Nothomb est désormais traduite en près de quarante langues), n'a jamais été aussi grande. Comment fait-elle pour tenir cette régularité de métronome? Et surtout, pourquoi le public se presse-t-il, si nombreux, au rendez-vous?
Pour son éditeur, Albin Michel, c'est même une véritable rente de situation. Il y a quinze ans, Hygiène de l'assassin ne s'était vendu qu'à 25 000 exemplaires la première année, ce qui était déjà remarquable, s'agissant du premier roman d'une inconnue. Mais la cote d'Amélie Nothomb a très vite grimpé. En 1999, elle explose littéralement, avec Stupeur et tremblements. Tiré initialement à 40 000 exemplaires, l'ouvrage s'emballe tout de suite en librairie. Quand, en novembre, il reçoit le Grand Prix du roman de l'Académie française, il atteint déjà les 200 000 exemplaires, score plus que doublé par la suite. «Depuis cette date, tous les romans d'Amélie dépassent les 200 000 exemplaires, sans compter les ventes en poche, qui sont considérables», résume Richard Ducousset, vice-président des éditions Albin Michel. C'est bien simple: Journal d'Hirondelle est, d'entrée de jeu, mis en place à 150 000 exemplaires pour sa sortie.
Mais cette fois, Amélie Nothomb est attendue au tournant. L'an dernier, avec Acide sulfurique, une satire de la téléréalité, elle a déçu la presse (qui l'a presque unanimement assassinée) et, pire, déçu ses lecteurs. «Avec n'importe quel autre auteur, quand il déçoit une fois son public, celui-ci ne revient jamais, tempère Julien Laparade, coresponsable du rayon littérature à la librairie Dialogues, à Brest, mais avec Amélie Nothomb, c'est différent. Elle sait tellement se renouveler que ses lecteurs, malgré leur déconvenue de l'an dernier, voudront quand même s'y intéresser.» Sauf que Journal d'Hirondelle n'est pas de la trempe de Stupeur et tremblements, Hygiène de l'assassin ou Métaphysique des tubes. Seulement136 pages, imprimées en gros caractères entourés de marges généreuses, comme si la production nothombienne semblait menacée d'anorexie galopante. Et surtout, la chute, déjà le talon d'Achille de nombre de ses précédents romans, laisse sur sa faim. Si l'on était lacanien, on dirait que l'auteur de Biographie de la faim, l'un de ses meilleurs livres, n'a toujours pas résolu son problème de fin.
Chez Albin Michel, officiellement, la confiance règne: «Journal d'Hirondelle n'est pas un Nothomb de plus, assure Richard Ducousset. Ceux qui aiment le travail d'Amélie trouveront que c'est son meilleur livre, celui où elle va le plus loin. Elle n'est jamais aussi bonne que lorsqu'elle se met dans la peau de quelqu'un de très différent d'elle.» Amélie Nothomb, pour sa part, jure qu'elle n'aurait pas pu faire plus long: «Ce manuscrit m'inspire une véritable épouvante. Il ne lui manque aucune page: il n'aurait pas pu en supporter une de plus.» Le titre, pourtant - à commencer par lui -, n'a pas fait l'unanimité chez son éditeur. Pas plus que la photo de l'auteur choisie pour la jaquette. L'un et l'autre ont été imposés par Amélie Nothomb. «Je crois qu'ils sont un peu à cran, en ce moment...» résumait-elle au début de l'été. - «Pas du tout! dément Richard Ducousset. Amélie est une auteure formidable, qui ne fait jamais de bruit, ni de poussière, ni de caprices. Alors, évidemment, quand elle souhaite quelque chose de particulier, on l'entend un peu plus, comme quelqu'un qui parle tout à coup dans une salle silencieuse, mais c'est tout.» N'empêche que ce titre trop mièvre - Journal d'Hirondelle, franchement... et pourquoi pas Mémoires d'une mésange? - fait un peu désordre dans le catalogue d'un auteur dont il faut bien saluer, qu'on aime ou pas ce qu'elle écrit, la vertu d'avoir toujours eu le «génie des titres», comme le dit Richard Ducousset lui-même. Quitte à s'exposer à la satire: dans le même Masque et la Plume, évoqué plus haut, le facétieux Beigbeder y était allé de sa liste de propositions: Epilation du gangster, Vasectomie du violeur...
Mais bon: cette histoire de titre(s) n'est qu'anecdote. Pasticher le style d'Amélie Nothomb, voilà, en revanche, qui serait un vrai défi. La Duras, avec ses tics d'écriture, se prêtait finalement plutôt bien à la parodie (l'excellent Patrick Rambaud, du reste, ne s'en priva pas). Amélie Nothomb, c'est une autre histoire - paradoxale.
Tout a été dit, ou presque, de ses origines aristocratiques. Très ancienne baronnie des Ardennes - dans la province belge du Luxembourg, à ne pas confondre avec le grand duché du même nom -, les Nothomb ont copieusement fourni la Belgique en gloires littéraires et politiques.
Bref, si, «dès l'âge de trois ans», la petite Amélie se révèle une boulimique de lecture, quand elle commence à écrire, «c'est d'abord en cachette»: «J'avais trop peur que mes parents me jugent ridicule.» Elle se trompait. Au printemps 1992, Ludovic de San, baryton belge de renommée internationale, se trouve en tournée à Tokyo. Il est reçu un soir à dîner chez l'ambassadeur de Belgique au Japon, qui n'est autre que Patrick Nothomb, le père d'Amélie. «Après le repas, nous passons au salon, se souvient-il. Tout à coup le téléphone sonne dans une autre pièce. Mme Nothomb va répondre. Elle revient cinq minutes plus tard, aux anges, et annonce fièrement: "Amélie vient de signer avec Albin Michel! "» La mère d'Amélie, née Danièle Scheyven, issue elle aussi d'une dynastie où politique et culture sont également révérées, est «une très grande dame, très chaleureuse, et en même temps très ''Madame la femme de l'Ambassadeur''», résume Ludovic de San. «Mais elle a aussi un petit côté fantaisiste, pétillant, drôle, dont a hérité Amélie», ajoute Jacques De Decker. Le père, lui, est «rondouillard, pas du tout aristocratique dans son apparence». Pour beaucoup d'anciens coloniaux de feu le Congo belge, c'est un héros. En 1964, alors que plus de deux mille ressortissants européens et américains sont otages des rebelles katangais dans Stanleyville, Patrick Nothomb, à l'époque consul de Belgique, jouera un rôle important dans l'opération commando Dragon rouge qui visait à les libérer (3). Après ce haut fait d'armes, Patrick Nothomb mènera une carrière diplomatique à travers le monde. Trois enfants naîtront. André, Juliette et Fabienne Amélie, la petite dernière, en 1967, alors que les Nothomb se trouvent au Japon.