Littérature. Très lue partout dans le monde, appréciée des Français, Amélie Nothomb publie « Barbe-bleue », son 21 e roman. Une version revisitée du conte de Perrault pour un roman qui réussit à être grand public et érudit.
Vingt ans après L’Hygiène de l’assassin, vous publiez votre 21 e roman. Était-ce un rêve pour vous à l’époque ?
Je ne me serai même pas autorisée à le rêver ! Je trouvais déjà hallucinant qu’un grand éditeur parisien me publie. Je me disais que j’allais vivre trois mois de folie et que c’était bon à prendre. Si à l’époque on m’avait dit que cela durerait, j’aurais été incapable de le croire. J’avais conscience de la difficulté de réussir dans un tel métier.
À part le succès, qu’est-ce qui a changé dans votre rapport à l’écriture depuis 20 ans ?
Le succès a eu un impact sur ma vie, mais pas sur ma façon d’écrire. Avant d’être publiée, j’étais déjà dépendante de l’écriture. Quand je dis que l’écriture m’a sauvé la vie, ce n’est pas une formule. J’étais quelqu’un qui n’allait pas bien et que l’écriture a sauvé. Même sans publication et sans succès, j’aurais écrit. L’immense majorité de ce que j’écris n’est pas publié. Je suis en train d’écrire mon 75 e manuscrit et je n’en ai publié que 21 !
Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur le thème de Barbe-bleue pour ce roman ?
C’est mon conte préféré et j’ai toujours été indignée par le traitement que Perrault infligeait à ses personnages ! Je n’aimais pas la façon dont il présentait Barbe-bleue – comme un pur monstre – alors que sa cause est juste : on a tous le droit d’avoir un secret et un lieu dans lequel personne ne pénètre. Dans le conte original, la femme tombe dans le piège comme une cruche et n’est même pas capable de s’en sortir toute seule ! Cela donne raison à tous les poncifs qui disent que les femmes sont bêtes et atteintes de curiosité malsaine !
C’est du féminisme ?
Je parle plutôt de civisme. On parle de 50 % de l’humanité, donc cela concerne les hommes aussi.
Le secret est un thème récurrent chez vous. Pourquoi ?
Le secret m’a toujours fascinée. J’avais 4 ans et je vivais au Japon quand j’ai eu conscience de l’importance du secret. J’étais déçue de ne pas en avoir. Puis j’ai déplacé un caillou et je ne l’ai dit à personne. J’avais alors un secret… Je crois encore à cela aujourd’hui : un secret peut être n’importe quoi, dès lors qu’on décide que c’est à soi et que c’est sacré. Éventer le secret de quelqu’un est pour moi très grave. L’époque y conspire et les secrets sont en voie de disparition. J’ai cru comprendre qu’internet conspire contre les secrets. Je n’ai pas d’ordinateur et ne connais pas internet, mais j’espère que l’on va trouver une solution.
Que faites-vous des manuscrits que vous ne publiez pas ?
Ils sont dans des boites à chaussures, à Bruxelles, où ils sont très bien. Ce n’est pas un triste sort de ne pas être publié. Je prétends être une bonne mère pour mes innombrables manuscrits et, comme une bonne mère qui a beaucoup d’enfants, je vois que certains sont destinés à la lumière et que d’autres sont destinés à l’ombre. Je me donne le même droit que Barbe Bleue : ma chambre noire, ce sont mes manuscrits non publiés.
Avez-vous un préféré ?
Vraiment pas. Je suis capable de voir que certains plaisent davantage, que certains sont plus beaux ou intelligents mais cela ne veut pas dire que je les préfère. Ils ont tous quelque chose. Je suis fière d’eux tous, même des mal-aimés.
Quand écrivez-vous ?
Absolument tous les jours sans aucune exception, de 4 heures à 8 heures du matin. Parfois plus tôt, mais je ne me mets jamais au travail plus tard. Ce sont des règles très fixes. À la base je ne suis pas du matin, mais il y a à ce moment-là des mécanismes qui se mettent en place dans le cerveau et qui font que l’on peut avoir accès à des énergies en soi qui n’interviennent pas à d’autres heures de la journée. Il y a une magie du matin.
Pourquoi vous obligez-vous à cela ?
Parce que j’en ai besoin. En plus de vingt ans, je me suis octroyée un jour d’exception : c’était un dimanche matin de septembre 1997. J’ai voulu essayer le dimanche matin d’une personne normale et cela a été horrible. L’angoisse était telle que je me suis promis de ne plus recommencer. Je fais partie des gens qui ne peuvent pas se permettre d’exceptions.
Vous êtes très populaire et médiatique, mais vous parvenez à préserver votre vie privée. Est-ce facile ?
Ce n’est pas un casse-tête. J’ai décidé que ce succès n’allait pas changer ma vie. Et, globalement, c’est le cas. Je sais ce que je veux bien partager et ce que je veux garder. Cela ne m’a pas rendue parano. Je prends le métro et je fais mes courses. Je suis folle, mais il y a du bon sens en moi ! Cela épate peut-être certains que je sois connue, mais pas moi.
Vous faites beaucoup de signatures. Pourquoi ce choix ?
De belles relations peuvent se tisser. En dédicace, je donne beaucoup de moi. J’essaie autant que possible d’intensifier le contact avec la personne en face qui m’inspire une vraie curiosité. J’ai assez souffert de solitude dans ma vie pour trouver merveilleux qu’il y ait des gens qui se déplacent pour une simple signature. Il y a peut-être des gens qui sont seuls, comme moi je l’ai été, et qui sont heureux qu’on leur témoigne un peu d’intérêt. En plus, j’ai du plaisir à ça. Ce sont de très beaux moments pour moi.
source : http://www.leprogres.fr/france-monde/2012/08/19/la-cause-de-barbe-bleue-est-juste-on-a-tous-le-droit-au-secret
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