Merci beaucoup. Je le copie ici pour ne pas le perdre ...
Quand l'auteur de «Julien Parme» questionne PPDA et Amélie Nothomb, cela donne des confidences sur l'amour et la littérature.
Interview par Florian Zeller - Paris Match
Paris Match. Vos histoires d’amour finissent mal. Pourtant, au dos de votre livre, Amélie, on peut lire “Il n’y a pas d’échec amoureux”...
Amélie Nothomb. Evidemment, il existe des désastres amoureux. Mais, selon moi, ce sont des expériences qui méritent toujours d’être vécues. Eprouver un sentiment amoureux ne va pas du tout de soi. C’est déjà un tel triomphe qu’on ne peut pas le considérer comme un échec.
PPDA. Je suis d’accord. Pour moi, échouer, c’est ne rien tenter. On ne sort jamais indemne d’une histoire d’amour. On a des bleus à l’âme, on est parfois exsangue. Mais ce qui est beau, c’est d’avoir été sur ce chemin. Je vois tellement de gens autour de moi se dire : “Oh, là, là… Celui-là ou celle-là va me faire souffrir. Je n’y vais pas…”
A.N. Les gens sont de plus en plus sécuritaires en tout, y compris en amour. Alors que l’amour, c’est le risque suprême.
PPDA. Plus généralement, je trouve que l’on vit entourés de warnings, de lumières rouges et clignotantes, qui nous disent : “Attention !” “Attention à la grippe A, à la grippe B, C ou D…” “Attention à votre travail, vous pouvez le perdre !” “Attention à l’amour, il peut vous faire du mal !” C’est encore plus manifeste pour les générations qui suivent les nôtres : ils sortent de leur coquille et regardent le monde – alors que rien ne les menace directement – avec beaucoup de peurs. C’est très étonnant. Et assez triste.
Pourtant, vos deux livres, par leur noirceur, ne font pas vraiment de publicité au sentiment amoureux…
A.N. Chez moi, la noirceur n’est pas négative. Je suis toujours habillée en noir, par exemple, et je crois être quelqu’un d’assez joyeux. Comment vous dire ? Il y a comme une suprême élégance de la couleur noire. C’est une couleur qui ne se trompe pas.
PPDA. Dans son livre, Amélie fait allusion au sonnet de Rimbaud “Voyelles”, dans lequel il souligne la noirceur de la lettre A. C’est un poème que j’adore. Certains exégètes ont vu dans ce A un sexe féminin et…
A.N. Un sexe féminin ? Ah, bon ? Ah, oui, peut-être, si on fait le poirier…
PPDA. [Rires.] Oui… En tout cas, le noir, c’est évidemment la couleur de l’amour. Et le rouge, celle de la passion. Et d’ailleurs, le plus beau roman d’amour, n’est-ce pas “Le rouge et le noir” ? Amélie, elle, a toujours décrit un univers assez noir. Même son humour est noir. Ce qui n’est pas vraiment mon cas. Mon personnage est tellement aveuglé par l’amour qu’il n’a plus de distance avec lui-même…
Ecrire sur l'amour,
le casse-gueule absolu
Vous pensez donc que l’amour rend aveugle ?
A.N. Pas du tout. Je ne veux pas dire que l’amour est lucide. Mais j’ai toujours eu cette sensation, quand je tombais amoureuse, que mes yeux s’ouvraient enfin et qu’auparavant j’étais aveugle.
PPDA. Je raconte l’inverse dans mon livre. C’est l’histoire d’un homme qui se fait complètement éblouir (avec délice d’ailleurs) par une femme. Les autres, autour de lui, tentent de le prévenir. Mais lui n’entend pas : il pense que son entourage lui dit ça par jalousie. C’est comme ça qu’il court vers l’abîme. Je crois donc que l’amour rend aveugle, oui. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une mauvaise chose.
Vous dites que l’amour, c’est le risque suprême. Mais le risque suprême, n’est-ce pas plutôt “écrire sur l’amour” ?
A.N. C’est certain. C’est le risque du casse-gueule absolu. Il n’y a pas de sujet sur lequel on devient aussi facilement crétin. Raison de plus pour redoubler de vigilance quand on l’aborde…
Donc, imprudence dans la vie mais prudence dans l’écriture ?
A.N. Non… La véritable prudence, ce serait de ne pas l’aborder. Nous sommes déjà très imprudents de le faire après tous les chefs-d’œuvre qui ont été écrits à ce sujet. Pour moi, le grand roman d’amour, c’est “La princesse de Clèves”. Aucun livre n’approche à ce point la tension amoureuse et ne la fait vivre avec autant de force.
PPDA. Je sens, dans les propos d’Amélie, une connotation politique…
A.N. Mais non… Je ne suis qu’une petite Belge… “La princesse de Clèves”, c’est un monument à la gloire du désir.
Vous parlez du désir, mais le sexe est absent de votre livre…
A.N. Dans “Le voyage d’hiver”, c’est vrai, c’est le fiasco total. Le narrateur tente le coup avec la femme qu’il aime, mais ils ont pris des substances qui rendent les choses compliquées… Le désir n’en est pourtant pas absent. C’est l’absence de réalisation qui lui donne toute sa dimension.
PPDA. Je soupçonne Amélie de nous avoir trouvé l’épisode psychédélique uniquement pour éviter de décrire l’amour physique. Parce que c’est ce qu’il y a de plus dur : comment décrire le sexe ? Dans “Fragments d’une femme perdue”, je me suis lâché. Ça me paraissait indispensable pour
raconter cette histoire passionnelle. Jusqu’alors je ne le faisais pas.
A.N. Non, ce passage psychédélique, ce n’était pas pour éviter une scène d’amour. Il évoque pour moi l’idée du voyage… Comment dire ? Ce qu’on appelle aujourd’hui “voyage” tel que le proposent par exemple les agences de voyage, ce n’est rien. Un véritable voyage, c’est une expérience dont on ignore la destination et dont on n’est jamais sûr de revenir.
PPDA. C’est le propre de l’amour.
A.N. Oui. Mais aussi d’autres petits voyages à propos desquels je resterai extrêmement suggestive, la loi française étant ce qu’elle est…
PPDA. Mais chacun a ses propres “voyages immobiles”. Je ne parle pas forcément des champignons hallucinogènes… La lecture est aussi un voyage immobile. Je pars tout à l’heure pour Bordeaux, par exemple, et j’ai dans mon sac trois livres de la rentrée littéraire, et je sais que je vais vivre un peu avec ces trois livres pendant quelques heures.
Et vous, comment vous êtes-vous rencontrés ?
A.N. Je peux le dire, parce que, pour Patrick, ce n’était sans doute rien du tout, mais pour moi c’était vraiment quelque chose. J’étais terriblement impressionnée à l’idée de rencontrer PPDA. C’était en 1993, à l’occasion de la sortie de mon deuxième roman, “Le sabotage amoureux”. Je mourais de peur… Je m’étais fait maquiller et coiffer jusqu’à être méconnaissable.
PPDA. Je m’en souviens bien. Mais, finalement, l’émission s’est très bien passée.
A.N. C’était formidable alors que j’étais d’une gaucherie étonnante…
PPDA. Je pense que de très nombreux lecteurs l’ont découverte à cette occasion. En tout cas, on m’en a souvent reparlé… Mais c’était un moment télévisuel : il n’y a pas eu d’échange véritable entre nous. Le moment où je l’ai vraiment rencontrée, c’était des années après : nous nous sommes retrouvés l’un à côté de l’autre pour une séance de dédicaces à la Foire de Brive. Il y avait beaucoup de monde, mais Amélie avait une écoute de ses lecteurs qui m’a beaucoup touché. Elle prenait le temps de leur parler. On avait l’impression qu’elle s’occupait des gens qui la lisaient… Je lui ai tiré mon chapeau, même si, en matière de chapeau, elle s’y connaît beaucoup mieux que moi.
Vous avez la réputation, l’un et l’autre, de répondre à toutes les lettres que vous recevez…
A.N. Je ne peux pas faire autrement. Il y a parfois des choses bouleversantes. Le compliment qui me touche le plus, c’est : “Depuis que j’ai
lu vos livres, j’ai recommencé à lire.” L’idée d’avoir pu réconcilier des gens avec la lecture me rend sincèrement heureuse…
PPDA. Amélie, dans un de ses romans, a évoqué l’anorexie. Moi, je l’ai fait dans deux de mes livres. Si bien que j’ai souvent reçu des lettres communes… du genre : “Vous et Amélie, vous m’avez sauvé la vie…” Il ne faut pas mentir, on écrit d’abord pour soi. Il y a quelque chose d’égoïste dans le fait d’écrire. Comme dans le fait d’aimer, d’ailleurs. Mais, quand on reçoit ce genre de lettres, vraiment, on se dit que ça valait la peine…
A.N. Je vous rassure, il y a également des lettres désagréables. Je suis aussi très gâtée dans ce domaine-là. Ou des lettres marrantes… Par exemple : “Chère Amélie… J’ai lu tous vos livres : ‘Hygiène de l’assassin’, ‘Le sabotage amoureux’, ‘Les particules élémentaires’, ‘Extension du domaine de la lutte’...” Suit alors une liste de livres qui ne sont pas de moi. Puis l’auteur de cette lettre finit par : “Mon préféré est…” Je retiens mon souffle… “Hygiène de l’assassin”... [Rires]. J’ai répondu : “Cher monsieur, merci pour votre lettre. Je vous recommande aussi mes autres livres, notamment ‘Le rouge et le noir’ et ‘La chartreuse de Parme’.”
PPDA. Et “Fragments d’une femme perdue” ?
A.N. Evidemment…