Amélie Nothomb : “Je suis enceinte tout le temps”
Amélie Nothomb vient à la rencontre de ses lecteurs demain jeudi à la librairie L’Armitière de Rouen.
Avant cela, je suis allé à Paris, chez Albin Michel pour rencontrer ce phénomène de l’édition.
Nous avons évoqué son dernier livre “Le Voyage d’hiver” mais aussi plus généralement son besoin d’écrire.
Pourquoi cette visite à Rouen ? Est-ce votre choix ?
“Je n’y suis pour rien. C’est une dame très compétente d’Albin Michel qui déploie chaque année, tel Napoléon, la carte de mes conquêtes sur la carte de France. Je suis sûre qu’elle sait très bien ce qu’elle fait mais je ne sais pas au nom de quels auspices elle a décidé que j’allais à Rouen cette année. J’en suis heureuse car c’est une ville que j’aime beaucoup”
Vous entretenez une vraie proximité avec vos lecteurs
“Si on publie des livres, c’est d’abord pour les lecteurs, donc c’est à eux que cela s’adresse et il est essentiel d’avoir leur réaction. Je reçois beaucoup de courriers. C’est déjà émouvant d’avoir leurs réactions par écrit, mais les voir, les yeux dans les yeux, c’est encore plus fort”
Vous répondez à toutes les lettres de vos lecteurs ?
“Dans la mesure de mes possibilités, oui. Je suis toute seule pour faire tout ça , mais autant que possible je le fais. Je pense que je suis l’écrivain qui répond le plus à ses lecteurs. Je l’ai toujours fait. Il faut dire que lorsque j’étais enfant et adolescente, le rêve de ma vie c’était de recevoir du courrier et cela n’arrivait jamais. J’allais tous les jours ouvrir la boite aux lettres et il n’y avait jamais rien pour moi. Maintenant c’est le contraire, il y a trop de courriers mais je suis resté dans la situation de quelqu’un qui attend du courrier alors je trouve cela merveilleux”.
Existe-t-il une dimension autobiographique dans ce livre “Le voyage d’hiver’ ?
” Heureusement, il ne m’est jamais arrivé de détourner des avions, ni de les fracasser contre la tour Eiffel (comme le souhaite l’un des personnages du livre. Ndlr). Mais je suis également une romancière “neuneu” donc on peut me retrouver dans le personnage d’Alienor…”
Votre succès se confirme année après année. Cela vous surprend, vous étonne ?
“Je suis étonnée et ravie. parce que croyez-moi, je ne pense pas du tout que cela va de soi. Ce n’est pas parce que j’ai un succès de plus en plus grand depuis maintenant dix-sept ans, ce n’est pas pour cela que je considère que c’est un abonnement; au contraire, je trouve qu’il faut d’autant plus être à la hauteur que beaucoup de gens croient en moi. Donc l’angoisse à chaque rentrée est d’autant plus grande parce que c’est difficile de durer”
C’est une terrible exigence
“L’exigence ne cesse de croître tant vis à vis de mes lecteurs que de moi. Il y a une attente colossale de ma part; je veux ne pas me décevoir et ça c’est très difficile”.
Vous vous dites volontiers “enceinte” de vos livres
“Je les porte, je pense que c’est la meilleure métaphore parce que cela dit très bien le peu de choix que j’ai. Il n’existe pas de moyens contraceptifs pour ce genre de grossesse là. Quand on est enceinte d’un livre, il faut s’y mettre, c’est comme ça; cela dit aussi le peu de choix que j’ai par rapport à l’histoire ou au genre. Parfois, il y a des gens qui me disent : je trouve que vous devriez plutôt raconter tel genre d’histoire; je leur dis “mais monsieur madame peut-être avez-vous raison, mais est-ce que vous croyez que c’est ma décision, c’est le bébé qui choisit; on ne décide pas d’être enceinte d’un blond aux yeux bleus ou d’un génie; on est enceinte de ce qui vient”
Ce ne sont pas des bébés obèses
“C’est vrai ce sont toujours des petits bébés, peut-être qu’un jour je subirais une mutation génétique mais jusqu’à présent mes bébés sont des petits bébés. Mais là encore, ce n’est pas un choix de ma part; si un jour un bébé décidait d’être gros, je serais ravie de porter un gros bébé”
Combien de temps êtes-vous restée sur le manuscrit du “Voyage d’hiver” ?
“Trois mois environ, c’est vrai que c’est assez rapide, mais trois mois très intensifs; là encore la métaphore de la grossesse est la meilleure, je suis enceinte tout le temps même lorsque je n’écris pas, je suis en train d’écrire…”
L’an dernier, il était beaucoup question de champagne; cette année, vous évoquez les champignons hallucinogènes…
“Comprenons-nous bien, je ne fais aucune publicité. Autant dans le cas du champagne, je donnais mes marques et elles sont disponibles dans tous les magasins. Autant là, je ne donne aucune marque et il ne s’agit pas de faire de la promotion… Cela reste extrêmement festif, tout de même.”
Qu’est-ce-que cette maladie de pneu qui apparait dans le livre ?
“Le syndrome de pneu ? C’est un pari que j’entretiens avec moi même que de placer le mot pneu dans chacun de mes livres. Ce qui n’est pas facile parce qu’il est rarement question de pneu.Là, ne sachant vraiment pas comment le placer, j’ai inventé une maladie, la maladie de pneu…”
Au fil des années, votre façon d’écrire a-t-elle évoluée ?
“Pas fondamentalement, j’imagine bien que le fait de tant écrire modifie l’écriture et je pense que ce que j’apprends de plus en plus en écrivant c’est à me passer de ce que je peux me passer. Chaque fois que je découvre que je peux me passer d’une description, que je peux me passer de ceci, je vais de plus en plus vers l’épure. C’est l’impression que j’ai maintenant. Il y a probablement d’autres évolutions dont je ne suis même pas consciente”
Vous allez à l’essentiel ?
“Je prends de plus en plus le sens du raccourci, je ne le cultive pas mais je constate biologiquement cette évolution en moi. Et cela me va complètement. Je sais que certaines personnes me disent “oui mais vos livres sont de plus en plus courts” . Eh bien, ce n’est pas un problème pour moi, mon but ce n’est pas d’écrire un livre court ou long… Mais dégraisser c’est toujours une bonne idée.”
Et le cauchemar d’un livre qui ne serait pas lu ?
“Bien sûr, j’ai cette angoisse comme tout écrivain. Là encore, considérer le succès comme un abonnement serait une grave erreur. Jai très conscience de mon privilège d’être tellement lue chaque année, je considère ça comme une grâce comme un don du ciel. Et comme tout don du ciel, cela pourrait m’être enlevé. Et évidemment, j’ai cette angoisse.”
Comment choisir l’ouvrage qui sera publié ?
“J’en écris plus de trois par an et je choisis seule celui qui sera publié. Je n’ai pas d’autres critères que l’instinct et le plaisir. Jusqu’à présent, j’estime que je ne suis pas trompée, je n’ai pas eu de regret en tous les cas.”
Que faites-vous des autres manuscrits ?
“Je les garde dans des boites à chaussures chez moi”
Pour publication ultérieure ?
“Non, pas du tout, j’ai déjà pris des mesures testamentaires pour que même en cas de décès ils ne soient jamais publiés. Mais je les garde, ce sont mes enfants au même titre que ceux que je publie. Je n’ai pas à saboter mes enfants, ce serait affreux.”
Allez-vous, de temps à autre, puisez une idée ou un fragment dans ces livres non-publiés ?
“Jamais. Ce sont des bébés terminés alors on ne va pas retomber enceinte d’un même bébé. En plus, la nécessité ne s’en fait pas sentir puisqu’il semblerait que je sois assez féconde. Tant que je bénéficie de cette formidable fécondité pourquoi est-ce que j’irais chercher dans des tiroirs”.
Comment faites-vous pour écrire tant ?
“Bonne question. Je ne sais pas, le robinet coule tous les jours”
Vous écrivez au quotidien ?
“Tous les jours, 4 heures par jour, de 4 heures à 8 heures du matin. Sans exception. Même quand je suis malade, même quand il y a un deuil dans ma famille. C’est la règle, c’est comme ça. Il y a un tyran en moi qui veille. Et puis c’est aussi une nécessité. Si je ne le faisais pas ça n’irait pas du tout. J’ai essayé une seule fois en plus de vingt ans de m’en passer et ce fut l’horreur absolue, je me suis sentie régresser. En quelques heures j’avais retrouvé l’âge de treize ans avec ce sentiment abominable que l’on peut avoir à cet âge là. Donc j’ai compris qu’il fallait plus simplement ne plus s’en passer”
Le prochain Amélie Nothomb est peut-être déjà écrit ?
” Peut-être, ou je suis peut-être en train de l’écrire. Je ne le sais pas. C’est toujours vers la fin de l’hiver que je relis tout ce que j’ai écris dans l’année et que je me pose la question”.
Comment est venue cette idée de terrorisme, qui est au coeur de votre ouvrage ?
“Comme tout le monde j’ai été traumatisée par le 11 Sept. Mais avant le 11 Sept, nous n’avions pas pris conscience combien il pouvait nous atteindre à tout moment et même aux endroits considérés comme les plus invulnérables et même avec des moments les plus rudimentaires. Des cutters contre des avions… Et puis d’une façon beaucoup plus anecdotique c’est vrai que j’ai toujours fait sonner les portails de sécurité… C’était à l’aéroport de Moscou, en février 2008, j’étais allée faire de la promotion là-bas. J’ai fait sonner le portail et sauf que là, la fouille fut autrement musclée que celle des autres aéroports. Et quand je suis sortie de cette fouille je me souviens avoir pensé dans un mouvement de colère “Eh bien ils mériteraient que je le fasse vraiment sauter cet avion”. Et d’un seul coup je me suis dis tiens au fond à ce stade, tu as déjà enregistré tes bagages, tu as déjà tout traversé, comment tu ferais si tu voulais faire sauter l’avion. Et j’ai trouvé un embryon de réponse. Fort heureusement ce qui me manquait à moi et cela me manquera toujours c’était la motivation. Le reste est venu de mon imagination.”
Des auteurs s’approprient votre nom notamment ce livre intitulé “Ma vie rêvée d’Amélie Nothomb”. Qu’en pensez-vous ?
“Ce n’est pas le premier, il y en a chaque année; je crois même qu’il y en a deux par an désormais. Cela ne me fait rien. Les gens s’étonnent tous que mon nom ne soit pas déposé; c’est vrai que si j’avais déposé mon nom comme cela se fait désormais ils n’auraient pas le droit de le faire. Mais mon Dieu, si cela peut faire plaisir à ces pauvres gens…
Propos recueillis par Benoit Vochelet
http://livres.blogs.paris-normandie.fr/2009/09/22/amelie-nothomb-je-suis-enceinte-tout-le-temps/
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