Pas de rentrée littéraire sans le dernier Amélie Nothomb bien sûr et ce depuis… 20 ans déjà. Son vingtième ouvrage traite de magie et de tricherie, de filiation et de manipulation, de cruauté et de LSD.
Tuer le père, c’est un titre provocateur. Votre père à vous en a pensé quoi? Il a lu votre livre?
«Il l’a lu et il a tout de suite compris qu’il était hors de cause. Il a vite été rassuré! J’ai toujours eu d’excellentes relations avec mon père. Il faut prendre le titre au sens symbolique. C’est une formule freudienne, tuer le père. Il ne s’agit évidemment pas très souvent de tuer vraiment son papa. Cela signifie se libérer de l’emprise que même les meilleurs parents du monde peuvent avoir sur leurs enfants. Les parents, même et surtout s’ils aiment beaucoup leurs enfants, ont tendance à projeter sur eux des ambitions, des rêves. C’est inévitable. Mais cela peut être une prison. Je pense que pour devenir adulte, il faut se libérer des rêves que nos parents ont projetés sur nous.»
Et vous, vous avez la reconnaissance de vos parents, contrairement à votre héros?
«Complètement. Je ne ressemble pas du tout à mon héros qui est quand même un type assez abominable!»
Comme dans le précédent, vous vous mettez aussi (un peu) en scène dans celui-ci… Il y a une part d’autobiographie?
«Ah non, vraiment pas du tout. Si ce n’est que j’ai assisté à Burning Man 2010. Mais pas du tout de la même façon et puis il ne m’est pas arrivé ce qui arrive au personnage. Non, vraiment pas! En revanche, ce qui est certain, c’est que le fait d’avoir énormément fréquenté des magiciens ces dernières années en France et d’être allée à Burning Man l’an dernier a fortement contribué à mon inspiration. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ce festival me bouleverse autant. J’y ai vu des mœurs que j’ignorais. Tout cela m’a beaucoup inspiré.»
Vous aimez jouer avec le feu?
«Ouh là là, je suis d’une très grande maladresse. Heureusement consciente de ma maladresse. Malgré ma fascination pour l’élément feu, je n’ai jamais joué avec. Allumer un simple feu de bois dans la cheminé me paraît déjà très difficile.»
Et si je vous posais la question au figuré?
«Ah, j’aime beaucoup le danger, mais encore faut-il que ce soit un danger qui mène quelque part. Le danger qui consiste à écrire un roman me plaît énormément.»
Vous parlez de drogue une fois encore, comme dans «Le voyage d’hiver». Vous avez testé?
«Je ne m’appesantirai pas sur le sujet. Disons simplement qu’aller à Burning man sans toucher à une substance psychotrope, c’est un peu comme aller en Inde et ne pas manger de curry.»
Ado, vous vouliez faire quoi comme métier?
«Franchement, à 15 ans, l’unique question que je me posais, ce n’est pas très rigolo mais c’est comme cela, c’est si j’allais vivre ou si j’allais mourir. La question d’un métier ne se posait même pas pour moi. La question, c’était vais-je vraiment vivre ? Vais-je appartenir au monde des vivants ? Donc je pense qu’adolescente je voulais simplement devenir vivante.»
Il est question d’un triangle amoureux. Un ado qui veut piquer la femme de son mentor…
«Un romancier est là pour parler du réel. Et dans la vie réelle, le triangle amoureux est la chose la plus banale du monde. Beaucoup d’histoires d’amour naissent à cause d’une triangulation. Souvent, on tombe amoureux de quelqu’un parce qu’on a vu quelqu’un d’autre être amoureux de ce quelqu’un. C’est un schéma de base de l’amour. Mais je dois dire que personnellement je ne l’ai jamais vécu. Mais je trouve cela assez fascinant.»
Vous écrivez: «le but de la magie, c’est d’amener l’autre à douter du réel. Comme le travail de l’écrivain en fait?
«Je pense que oui. Et c’est en cela que la littérature se rapproche de la magie. L’un de mes buts en écrivant ce livre, c’était aussi de réaliser un tour de magie.»
La magie vous fascine?
«Oh oui!»
Et quel est votre secret pour que la magie opère dans vos livres?
«C’est très compliqué, cela tient à énormément de choses. La littérature est un jeu sur les perceptions. On peut faire des espèces de trucages, utiliser des trucs comme les magiciens. J’ai déjà utilisé un vrai trucage dans un de mes précédents livres, qui s’appelait ‘Mercure’. Je ne révélerai pas le truc, mais tous ceux qui ont lu le livre savent que c’est un livre qui repose sur un trucage. Le trucage tient sur beaucoup de choses, sur des perceptions tronquées et aussi sur une certaine rapidité. Je pense qu’un roman basé sur la magie ne peut pas s’appesantir.»
Vous arrive-t-il de tricher?
«Jamais. La triche en littérature cela existe. Mais quand je tombe sur de la triche dans le livre d’un autre, cela me choque beaucoup. Ce que j’appelle la triche en littérature, c’est les effets faciles, l’émotion facile, provoquée avec des moyens que je considère comme déloyaux. Cela me choque tellement quand je tombe sur cela dans le livre des autres que je ne veux pas m’abaisser à tomber là-dedans.»
Si j’ose dire, vos héros ont des prénoms pas très Amélie Nothomb.. Un peu banal, presque!
«C’est vrai mais ce sont des gens qui existent. Tous m’ont été inspirés par des personnages que j’ai vus là-bas. Ils ne s’appelaient pas comme cela pour de vrai. Mais je me suis dit qu’après tout, ce sont des Américains assez simples, autant leur donner des noms américains courants.»
C’est votre 20e roman. Vingtième rentrée littéraire aussi. Ça vous fait quoi?
«Je vous assure que quand on dit le temps passe vite, on a tort. Le temps ne passe pas vite du tout. Je les ai vues passer, ces 20 années.»
Votre roman compte 154 pages cette année: un gros bébé?
«(rire) Oui, vous avez raison. C’est plutôt un gros bébé!»
Il est question aussi de réflexion sur la filiation et le sentiment d’être parent. C’est un sujet qui vous préoccupe? Vous aimeriez être mère un jour?
«Personnellement, je ne suis pas parent, je ne le serai pas et je n’ai jamais souhaité l’être. Mais je suis mère de 72 romans. Et cela s’est une chose qui m’occupe beaucoup.»
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